Par Jean-Noël Bilodeau
Balado de la pandémie
L’idée m’effraie. Je ne parle pas. J’écris. Mais puisque les temps changent, je dois désormais me faire à l’idée que la chose écrite doit aussi se dire. Et pas n’importe comment. Se dire dans le style de ce qui se dit aujourd’hui.
La poésie, c’est le slam, le rap,
Le spoken word, la performance.
Celle du son, celle du « je te parle donc je suis »
Si tu veux pas que la poésie t’ennuie
Si tu veux pas que la poésie te crée d’ennuis
Si tu veux pas que la poésie reste dans tes tiroirs
Si tu veux pas que la poésie croupisse dans les dépotoirs
Des éditeurs qui ne publient pas les rimeurs décantatoires
Si tu veux pas que ta poésie reste en marge de la vie
Si tu veux pas que la poésie te fasse perdre ton temps pi l’appétit
Si tu veux des lecteurs qui ne lisent plus que le numérique
Si tu veux poétiser dans les modes électroniques
Il n’y a rien de honteux; tu dois être catégorique
Il faut poète que tu entres, visière baissée,
Dans l’ère post-pandémique
Ta voix masquée ne doit pas cependant te faire oublier
Les mots anciens, les témoignages passés
La « rose qui ce matin avaient desclose » de Du Bellay
Les vers de Ronsard, de Villon, de Baudelaire
Les violons de Verlaine, les voyelles de Rimbaud
Le vaisseau ivre de Nelligan, les courtepointes de Miron
Les fils déchus de race surhumaine d’Alfred Desrochers
Les artistes du refus global de Borduas de Riopelle
L’orignal épormyable de Claude Gauvreau et
Le Speak White de Michèle Lalonde
Ta voix au-delà du temps d’ici
Ta voix masquée ta voix enfouie
Doit continuer de dire oui
Oui à l’indignation
Oui à la révolution
Ta voix doit raconter les cris et les pleurs des insurgés
Des réfugiés affamés du Yémen du Myanmar
Des peuples appauvris bafoués endettés
De la Terre conquise et colonisée
Ta voix doit continuer de crier
Non à l’oppression, non à l’esclavage
Non aux machiavels du FMI,
Aux idéologues des trusts et des banques
Aux guerres, aux violences, aux tortures infâmes
Aux armes brandies des sectaires sociopathes
Aux diktas des tyrans phallocrates
Non à l’exclusion
À la mondialisation de la pauvreté
Au conformisme
À la répression des libertés
Ta voix doit continuer à dénoncer
Les pouvoirs obscurs
Des harceleurs des intolérants
Des usurpateurs des médisants
Ta voix doit continuer de revendiquer
L’amour la différence
La compassion la chaleur humaine
De dire oui à la fête à l’imaginaire
Aux sensations magiques
Aux odeurs au bonheur
Aux parfums aux couleurs
Aux chants à la musique
Au goût des choses dites
Au plaisir de sentir ta main sur mon épaule
L’étreinte de nos bras amoureux
Poète tu dois rouvrir les yeux clos
De nos indifférences
Et dire tout haut
Nos impatiences
Tu dois sauter à pieds joints
Dans la Beauté et la Vie
Et libérer l’Esprit de nos origines
Le vrai prix à payer de la Poésie
Le devoir de solidarité accompli
Vérité et Justice pour toutes et tous
2020
Crédit photo : Christian Gonzalez