Je suis poche en dessin
mars
08
2021
Je suis poche en dessin
mozaik
Séparation

par Patrick Richard

D’aussi loin que je me souvienne, je suis poche en dessin. La photo qui orne ce texte en est la preuve : moi qui fais de l’embonpoint, flottant avec des oreilles rouges à côté de ce qui ressemble à un pommier, avec mes 4 orteils, mes 3 doigts et mes 15 cheveux. Dessin réalisé à l’âge de 5 ans. Bon pour orner le fond d’une poubelle, mais objet patrimonial en raison de son âge. Peut-être que vous vous dites : « Ah ben là, tu avais cinq ans, ami artiste, ça fait un bail! Sois indulgent envers toi! »

Oui, ça fait un bail, mais 40 ans plus tard, je dessine aussi mal. Et malgré le fait que j’écrive chaque jour de façon manuscrite, j’écris comme un médecin aux prises avec le Parkinson. Moi et les crayons, c’est comme se brosser les dents avec une brosse à cheveux. C’est pas facile. Quand le porteur de talent du « Savoir bien écrire et bien dessiner » est passé, je dormais profondément. En rêvant que je dessinais bien.

Réveil brutal.

Je me rappelle mon tout premier cours au secondaire à l’école St-Martin à Laval. Un cours d’arts plastiques. Le prof, Richard Villandré, nous avait parlé du concept de croquis avec une nature morte. « Tu regardes, tu esquisses les grandes lignes, tu te choques pas, tu laisses aller. »
J’comprenais rien. Un croquis? Tu esquisses? J’ai tenté du mieux que je peux de dessiner la tasse et le bout de bois sur son bureau en prenant vraiment mon temps pour tracer toutes les lignes, remplir les ombres, saisir la lumière, la perspective. Tout ce qu’il ne fallait pas faire. Sans déchirer ma feuille avec mon efface « parce qu’on n’efface pas ça un croquis, c’t’un croquis! », avait dit Richard. Le cours d’après, M. Villandré avait pris mon dessin, l’avait montré à toute la classe en le tenant à bout de bras. J’entendais pouffer de rire autour de moi, je voulais me faire poussière sous l’une des pattes de mon bureau. « Les enfants, c’est ça, un croquis », avait dit Richard sans rire.

Pardon? J’ai réussi à faire un croquis? Si je me souviens encore de ce moment 35 ans plus tard, c’est qu’il était admirablement laid, ce croquis. Je m’étais forcé pour dessiner la nature morte avec précision, je me retrouvais avec un croquis. Le reste de l’année a permis à Richard de constater que même mille ans de cours ne viendraient à bout de mon incommensurable manque de talent en arts visuels.

J’ai quand même terminé l’année avec une note de 71. 71 sur 1000, sûrement…

Pourquoi je vous parle de ça ce matin, ce soir ou cet après-midi? Parce que je porte une admiration sans bornes aux artistes en arts visuels qui pullulent dans notre ville, notre région et les sous-sols de notre pays. Ils sont non seulement admirables pour le talent qu’ils ont, mais surtout pour l’émotion qu’ils transmettent. En ces temps où nos repères vacillent, je milite pour que l’art devienne un service essentiel à nos vies. Pandémie ou pas. Sinon, on se retrouvera avec trop de bonhommes surdimensionnés avec pas assez de doigts, trop de gras de corps et flottant gelés dans un espace où plus rien n’a de sens.

Séparation

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