Des canons contre les virus…
par Jean-Noël Bilodeau
Tout le monde vous le dira. Ce n’est pas la première fois que le Québec vit un confinement. Il y en a qui l’ont vécu avant nous. Et qui vous diront que c’était la chose à faire. Comme Pauline, ma sœur aînée, en quelque sorte la mémoire de la famille. En 1945, elle vivait chez notre grand-mère Démerise Roy, à Saint-Isidore, dans la Beauce, tout juste à côté de la rivière Chaudière.
Cette année-là, le gouvernement avait décrété un « confinement » parce que les soldats québécois, et parmi lesquels de courageux beaucerons, revenaient de la guerre et pouvaient être porteurs de malins virus.
Les aînés se souvenaient de la fameuse « grippe espagnole » de 1918 provoquée par des transports de troupes. Pour eux, Il ne fallait pas revivre cette catastrophe, qui avait entraîné la mort de 14 000 Québécoises et Québécois.
Cette fois, les Beaucerons furent confinés avant l’arrivée des troupes et le Québec évita le pire.
Ma sœur me rappelle que notre grand-mère, qui n’avait pas la langue dans sa poche, ne se gênait pas pour dire qu’il fallait se méfier des vrais porteurs de virus, les anglais… et qu’il n’y avait rien d’espagnol dans tout ça!
Les aînés, dont le père de Démerise, François Roy, né en 1841, racontaient que l’histoire se répétait toujours. La première pandémie, dont les Canadiens se souvenaient, fut celle du choléra-morbus, qui aurait causé, en 1832, plus de 10 000 morts dans le Bas-Canada (le Québec actuel) parmi une population d’environ 400 000 habitants.
Selon le journal de l’époque, La Minerve 1, le virus serait venu des Indes… Mais les médecins de Montréal et de Québec ont été unanimes pour dire « que la contagion n’existait pas ».
Ils devaient craindre la réapparition des rumeurs accusant encore une fois les Anglais!
Selon eux, le grand nombre de morts serait plutôt dû à une cause atmosphérique. « La maladie a été aggravée, disaient-ils, par des causes particulières provenant de la saison extraordinaire qui a entièrement retardé la végétation, qui devait être très prolifique pour produire l’absorption complète des gaz nuisibles engendrés dans le sol. » Ils proposaient de faire pression sur les autorités pour qu’elles fassent brûler des matières bitumineuses ou qu’elles fassent tirer du canon. « Cela est très efficace, disaient-ils, contre l’atmosphère qui véhicule les vapeurs méphitiques. »
Et, en plus de ces changements climatiques, auxquels ils attribuaient la cause principale de la pandémie appréhendée, lesdits médecins avaient également leur opinion sur certaines causes dites « prédominantes » : les excès du boire et du manger, l’abandon aux influences pernicieuses, la saleté et la vieillesse… Quant à Monseigneur Panet, sur le point de prendre sa retraite, il était plutôt d’avis que nous aurions dû prier un peu plus!
Finalement les autorités gouvernementales décidèrent d’installer une station de quarantaine à Grosse-Île afin d’endiguer une éventuelle contagion par des immigrants, ciblés comme éventuels porteurs du fameux virus. Le chroniqueur de La Minerve tient toutefois à qualifier de stupides « les rumeurs qui veulent que les autorités britanniques aient envoyé des immigrants malades ».
Car nombreux étaient alors les Patriotes qui en avaient ras le bol des gouverneurs britanniques de la colonie et qui les accusaient d’être responsables de l’épidémie. L’un d’eux, Edouard-Étienne Rodier, député à l’Assemblée du Bas-Canada, affirma, lors d’un débat, que « ce n’était pas assez de nous envoyer des égoïstes avides, s’enrichir aux dépens des Canadiens et chercher à les asservir. Il leur fallait plus. Il fallait qu’ils se débarrassent de leurs mendiants et les jettent par milliers sur nos rivages. Il fallait nous qu’ils nous envoient des pauvres misérables et, à leur suite, la Peste et la Mort. »
Il y en a aujourd’hui qui disent que le coronavirus serait « chinois ». Je suis persuadé que si Démerise vivait encore, elle jurerait qu’il ne vient pas de là… Mais il n’est pas dit qu’elle croirait qu’il faille tirer quelques coups de canon…
1 : Les citations qui suivent proviennent d’une édition du Boréal Express, publié en 1972, sous la direction des historiens Gilles Boulet, Jacques Lacoursière et Denis Vaugeois. (1810-1841 : Régime britannique)