Un café, cinq questions est un lieu de discussion où je prends le temps d’un café pour questionner un artiste de Vaudreuil-Dorion, un citoyen, une femme d’affaires ou un barbu circonspect, sur son rapport à la culture à l’aide de cinq questions pas du tout scientifiques en lien avec l’actualité, avec la vie, avec notre place dans l’univers et surtout, avec rien de tout ça. À la dernière gorgée de café, je demande à mon invité de choisir mon prochain invité.
Aujourd’hui, à la demande de Monica Brinkman, je bois un café avec Jean-Noël Bilodeau, écrivain, poète et homme de cœur de Vaudreuil-Dorion.
Qui est-il?
Tenter de conscrire la vie d’un homme telle que celle de Jean-Noël Bilodeau relève à vouloir résumer une épopée livresque de 2000 pages à un banal paragraphe. Mais puisqu’il le faut, nous dirons simplement de lui qu’il est le meilleur ami des mots au point de les avoir façonnés de ses mains journalistes, écrivaines et poétiques. Il a porté sa voix avec celles des artistes pour faire entendre les échos d’une jeunesse enflammée dans les années 1970 (il était d’ailleurs dans le théâtre du Gesù le 27 mars 1970 à l’occasion de la mythique nuit de la poésie) et plus récemment, il a fondé l’entreprise d’économie sociale Le Zèbre Rouge dont la mission est d’accroître l’autonomie, les compétences et l’employabilité de jeunes adultes vivant avec des problèmes de santé mentale, de limitations intellectuelles ou physiques, qui ont la volonté d’améliorer leurs conditions de vie. C’est devant cet homme que je m’assois pour boire un café et l’amener sur le vaste chantier de la culture et de la possibilité de la définir en quelques phrases (rires).
Votre définition de la culture (en quelques phrases)
Après une longue et pertinente discussion sur la littérature, sur Brad Cormier et sur le hockey comme vecteur d’identité nationale, Jean-Noël Bilodeau s’aventure sur cette piste pour tenter de comprendre la culture : « Quand on veut définir une culture, on a le grand ″ C ″ de culture, la culture québécoise, comme on pourrait dire la culture mésopotamienne, la culture espagnole. Dans une époque donnée, un peuple a ses rituels, des langues, une nourriture développée, son écriture, etc. Quand on parle de la culture de ces peuples-là, on parle des rituels, de telle nourriture, une espèce d’équation qui dit ça + ça + ça donne la culture d’un peuple. Mais quelque part, il y a la culture avec un petit c qui n’est pas pareille du tout. Moi, j’écris comme j’ai été éduqué. J’ai grandi dans les années 1960, dans les collèges classiques. J’ai des références à un milieu et à des noms qui ne vont rien te dire. La culture, pour chaque individu, peut être différente, mais la grande culture peut avoir une globalité. Il peut y avoir des références collectives, mais l’individu comme tel, lui, sa culture est constituée d’un ensemble de connaissances beaucoup plus fragiles qu’on peut se l’imaginer. Cela m’a fait comprendre que la culture pour un être humain n’est pas imperméable. C’est une des qualités de la culture pour moi. Quand tu en fais une approche individuelle, la culture est un monde qui est très fragile, non imperméable, à la mesure de nos ouvertures d’esprit. »
Un moment culturel marquant dans votre vie
À l’époque où Jean-Noël Bilodeau collaborait au journal Le Jour dans les années 1970, un journal indépendantiste publié à l’échelle nationale, un repère culturel bien connu, Le Braque, accueillait les plus grands artistes du moment. Ce lieu ouvrait ses portes sur la rue Valois à Vaudreuil-Dorion tout près d’où se trouve actuellement le cordonnier Groux et fils. En 1976, Jean-Noël Bilodeau a organisé, au profit du journal Le Jour et du Braque, un événement culturel phare qui s’est tenu au centre culturel de la Cité-des-Jeunes : « On a eu de grands moments dans notre histoire, des Saint-Jean-Baptiste glorieuses, de grandes fêtes, mais une que j’ai retenue parce qu’elle s’est passée ici, c’est la fête du Jour. On a décidé de faire une fête pour financer Le Jour, nous avions un service pour aller chercher le monde à Montréal, c’était une organisation gigantesque. Beau Dommage, Harmonium, tout ce qui avait de bon à l’époque est venu à la Cité-des-Jeunes. Ce moment-là s’est passé six mois avant l’élection du Parti Québécois. Quand c’est arrivé, les gens disaient ‘La jeunesse du Québec vient de s’éveiller et il va y avoir des changements.’ Pour moi, ç’a été un événement culturel important où il y a eu une mobilisation d’une jeunesse derrière plein d’artistes. Ç’a été la preuve que la culture était l’outil essentiel des Québécois vers l’indépendance. »
Une chanson et un livre sur une île déserte
Chanson : « Quand les hommes vivront d’amour, de Raymond Lévesque. Il est un de nos compositeurs méconnus. Le texte a un caractère universel, le message passe, on n’écrit pas pour rien. »
Livre : « J’en ai lu tellement de livres… Je vais y aller avec Citadelles, de St-Exupéry. C’est un livre particulier, je l’ai traîné partout. Un peu comme les Pensées de Pascal, tu prends ce livre-là, tu l’ouvres à n’importe quelle page et tu prends quelque chose dedans, ça amène à une réflexion presque automatique. C’est un condensé de notions aussi importantes que la bible peut l’être. Mais c’est peu connu. Pour moi, c’est un livre incontournable. »
Ce que vous aimeriez que l’on retienne de vous sur le plan culturel
« J’ai fait toutes sortes de choses dans ma vie, mais à travers tout ça, j’ai toujours écrit. Peu ou beaucoup selon les occasions, mais j’ai toujours écrit. Ce besoin-là d’écrire, j’aimerais que ça soit ça qui m’identifie. Quel qu’en soit le résultat, qu’on puisse dire : lui, c’était un écrivain, il aimait écrire, beaucoup plus que n’importe quoi d’autre. La plus belle façon d’exprimer les choses à mon avis demeure l’écriture. T’exprimes quelque chose qui est fondamental à l’humain.
Il n’y a pas juste Mao qui a fait des poèmes qui ont engendré une révolution! Il faut qu’on soit capable de transmette à nos enfants ce goût-là, cette beauté-là. Il y a là quelque chose d’essentiel sur quoi on doit s’attarder. »
Si on vous donnait les leviers du pouvoir (à un palier assez grand pour devenir un agent de changement), quel serait le « Plan Bilodeau » pour la culture?
« Il faut que la culture soit proche des gens, quel que soit le moyen. Je suis vraiment contre les cultures d’élite. » (Jean-Noël donne plusieurs exemples de culture de proximité, de l’opéra à Céline Dion en passant par la poésie où, en cette nuit de poésie du 27 mars 1970, Claude Gauvreau scandait des sons incompréhensibles qui « étaient traduits dans la tête du monde par des émotions tellement fortes que même si tu ne les comprenais pas, ils se rendaient. »)
Après cette volonté de proximité, Jean-Noël Bilodeau milite pour un centre culturel.
« C’est une inconscience de ne pas avoir de centre culturel. Partout, il y a quelque part un lieu de rencontres de toutes ces formes de culture. Pour moi, le meilleur centre culturel serait une salle vide, identifiée comme étant un centre culturel. Au bout de 10 ans, tu aurais une ébullition formidable où plein de gens partagent leur identité, leurs tissus de culture, pour faire en sorte que ça devienne un bouillon de culture. Mettez-moi ça ici, à Vaudreuil-Dorion, une belle grande bâtisse vide, et je vous assure que dans 10 ans il va y avoir un éclatement culturel extraordinaire! »
Au crépuscule de cette rencontre fascinante, Jean-Noël Bilodeau m’invite à mon prochain face à face en compagnie de la poétesse, Marie-Belle Ouellet.
Autre café, autres discussions…
Patrick Richard